Je viens de finir un bouquin sexiste. J’en ai parlé avec l’auteur (c’est un copain très sympa), il a été tout surpris. Pourtant, après discussion, il est tombé d’accord avec moi : oui, c’est vrai, son bouquin est sexiste. Pas méchamment macho, pas violemment misogyne, non. Juste empreint d’un sexisme ordinaire, qui se traduit dans son livre à la façon d’une loupe qui amplifierait les tares de notre société.
« Purée, j’avais pas fait gaffe, si seulement j’aurais su ! » qu’il me sort. Comme ce n’est pas la première fois que j’entends ça, j’ai tenté de rédiger un petit guide pour mes collègues auteurs/trices qui NE VEULENT PAS être sexistes, mais ignorent comment éviter les pièges.
Voici les principaux points auxquels il faut, je crois, prêter attention. Il est rare de cocher toutes les cases… mais on a chacun nos travers dans lesquels on a tendance à verser…
1) Vous avez le syndrome de la Shtroumpfette. Les femmes composent la moitié de l’humanité. Pourtant dans certains livres, elles n’apparaissent nulle part : ni chez les commerçants, ni dans la politique, ni dans les écoles, ni dans le groupe des héros, jusqu’au moment où votre personnage principal (un homme) rencontre LA femme. Elle peut être la criminelle hyper sexy, la princesse à sauver ou la timide secrétaire qui va aider le héros sans remettre en question sa virilité. Ça ne change rien, c’est toujours la même. Et surtout, c’est la seule femme de tout le livre (parfois il y en a une seconde, mais c’est pas beaucoup mieux).
Comment arranger ça ? Simple : au lieu d’avoir UN boulanger, UN mage, UN juge, UN président, UN policier, mettez la fonction au féminin une fois de temps en temps. Faîtes-le pour les rôles mineurs et parfois pour les rôles majeurs. Ne réservez pas les fonctions pourries aux femmes, parce que la vente de petits bouquets de violettes, ça va bien deux minutes. Bref, arrêtez d’effacer la moitié de l’humanité.
2) Vous avez le syndrome Trinity. Votre personnage féminin peut être badasse à mort, super fort, super intelligent, super tout, ça ne change rien, puisque c’est votre héros masculin l’élu. C’est super pratique. Le message envoyé reflète assez bien la réalité sociale : peu importe à quel point une femme se défonce, elle est moins digne d’intérêt que les messieurs.
Par dessus le marché, en plus de TOUTES ses compétences, votre personnage a une apparence physique validée par le regard masculin. Si elle n’est pas belle, elle ne vaut rien. Elle est donc jolie, mince. Et blanche. Évidemment. (Si vous voulez en savoir plus sur le sujet, vous pouvez cliquer sur ce lien.)
Que faire pour éviter ça ? Rétablir un peu l’équilibre. Si votre personnage féminin est à ce point plus doué en tout que votre personnage masculin, c’est peut-être que ce devrait être elle, l’héroïne. Et peut-être aussi qu’elle n’est pas obligé de ressembler à un mannequin pour lingerie. Et peut-être qu’elle n’est pas obligée d’être blanche (mais là, on sort un peu du sujet).
3) Vos personnages féminins sont des mamans ou des putains. Dans tous les cas, elles servent à assouvir les « besoins » de vos personnages masculins. La maman peut revêtir plusieurs fonctions. Elle est celle qui soigne, celle qui est douce, celle auprès de qui le héros trouve refuge. Elle est propre sur elle. Parfois, elle est aussi la femme dont le héros est fou amoureux (coucou Oedipe). Dans tous les cas, on la respecte.
À l’inverse, il y a la putain. L’allumeuse. La femme fatale. Le héros n’en tombe pas amoureux. Généralement, il s’en sert pour ses élans hygiéniques et pour passer un moment rigolo avant de retourner jouer les chevaliers servants auprès de la maman. À titre d’exemple, dans les James Bond, c’est toujours celle qui se fait dézinguer à la moitié du film.
Parfois, un personnage parvient à être les deux en même temps. À ce moment-là, on rejoint le point 1 et parfois même le point 2 au passage. Bingo.
Comment faire pour arranger ça ? Évitez ces deux archétypes. Et mettez plus de femmes dans plus de rôles, avec de véritables buts personnels, faîtes surtout qu’elles ne soient pas uniquement au service du héros.
4) Vos personnages féminins sont décrits avant tout par leurs attributs physiques (alors que vos personnages masculins, non), si possibles très sexualisés et pas franchement réalistes. Ça va de « l’adorable moue boudeuse » (non, les femmes ne sont pas sexy quand elles se comportent comme des gosses de quatre ans) aux « longues jambes fuselées », « décolleté pigeonnant », « flamboyante chevelure », etc. Ça donne l’impression qu’une femme est avant tout un corps découpé en tranches et toujours le même, par dessus le marché. On se croirait à la boucherie en train de mater les différents morceaux de viandes d’une même vache.
Comment arrêter ça ? Introduisez plutôt votre femme par une action ou un dialogue musclé et restez centré sur cette action. Arrêtez de valider l’apparence de votre personnage féminin par les yeux de votre héros. Ou, si c’est important pour vous, essayez de varier un peu les morphologies.
5) Vous ne passez pas le Bechdel Test.
Kézako ? Wikipedia est notre ami : « Mis au point par Alison Bechdel en 1985, le test de Bechdel vise a démontrer par l’absurde à quel point certains films, livres et autres oeuvres scénarisées sont centrés sur le genre masculin des personnages. Une œuvre réussit le test si les trois affirmations suivantes sont vraies :
- l’œuvre a deux femmes identifiables (elles portent un nom) ;
- elles parlent ensemble ;
- elles parlent d’autre chose que d’un personnage masculin. »
Même si Hollywood fait aujourd’hui plus souvent passer ses scénarii à travers ce tamis, la grosse majorité des livres et films y échoue encore.
À noter tout de même qu’une oeuvre peut ne pas passer le test de Bechdel sans être sexiste pour autant, si par exemple elle se déroule dans un milieu très masculin, ou très patriarcal, ou est simplement une histoire d’amour où tout le monde parle sans arrêt du sexe opposé… La valeur informative de ce test vient surtout de la quantité d’oeuvres qui ne le passent pas.
6) Vos personnages féminins sont « parfaits », hiératiques, voire flottent au-dessus de la mêlée avec grandeur d’âme et toute-puissance (mais sans jamais intervenir, attention, ça c’est le rôle des hommes). Elles sont douces et hyper pures. Personnellement, j’appelle ça le syndrome Galadriel, qui rejoint vaguement le point 3. Ça donne des personnages insipides, irréalistes et parfaitement chiants. Les femmes sont des êtres humains comme les hommes. Pas des êtres divins pétris de grâce, sans même un bouton sur le nez.
Et si vous avez une Galadriel toute-puissante mais qui reste au-dehors de la mêlée parce qu’elle ne veut pas tâcher sa belle robe, sachez que vos lectrices auront généralement envie d’éclater la face de cette nouillasse.
Comment corriger ça ? Arrêtez de penser que ça donne de la hauteur à votre récit. Ça gave tout le monde. Même vous, avouez. (Et ce fantasme érotique est nul).
Edit : une collègue me signale que le syndrome Galadriel relève plutôt de la problématique de la « femme forte » qui devient irréaliste (voire psychopathique) parce qu’elle doit porter tout son genre. C’est un aspect très subtil du sexisme qui se veut féministe. Pour en savoir plus, cliquez sur ce lien. Je pense que le syndrome Galadriel est encore différent, mais « la femme forte » est un aspect intéressant que je n’ai pas traité.
7) Vous slut-shamez comme un goret.
Ne jugez pas une femme sur sa sexualité. Évitez les « filles faciles » (comme par hasard, c’est toujours le cas de la méchante, rarement de la gentille), évitez les jugements vestimentaires. Évitez les « allumeuses », les « salopes ». Évitez. Vraiment.
Le sexe, c’est bien. Ça détend.
8) Vous avez placé une « woman in the fridge ». C’est la spécialité du polar, mais en poussant un peu dans les angles, ça marche aussi en fantasy. (Attention, on parle ici d’un vrai personnage, pas d’un figurant qui servirait juste d’ouverture sur un prologue. Faut pas être plus snob que le roi, non plus).
C’est le personnage féminin qu’on se trimballe un certain temps et essayant de faire croire à tout le monde qu’il est important dans l’intrigue (sauf que non). Il n’est pas vraiment développé, pas vraiment intéressant, MAIS mignon, fragile et si possible esthétiquement pertinent. Un peu comme un chaton. À un moment, le méchant refroidit cette adorable chose, qui n’aura eu qu’un seul but dans l’histoire : montrer que le méchant est un vrai salaud, cruel et tout. Comment a-t-on pu faire subir un sort aussi atroce à une si tendre créature ?
Comment corriger ça ? Les femmes ne sont pas des petits chatons. Si vous tenez vraiment à en fourrer une dans un coffre avant de la cribler de balles, essayez d’en faire quelque chose avant. De lui donner un objectif. De la personnalité. Sa mort n’en sera que plus tragique et votre bouquin meilleur. Promis.
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Je vais m’arrêter là. Ma liste n’est évidemment pas exhaustive. J’ai seulement repris les points qui nous agacent le plus, certains amis lecteurs et moi-même.
Je précise une fois encore que les autrices sont concernées presque autant que les auteurs. Je sais aussi que ce n’est pas facile de déconstruire ce que la société nous a martelé depuis notre enfance, mais s’il vous plait, essayez à défaut de réussir.
Edit du 30 juillet 2016, 22h45 : on me fait remarquer que je n’ai traité ici que les personnages féminins et pas les personnages masculins, alors que la sur-virilisation de ces derniers est largement aussi sexiste. C’est pas faux, même si je pense que ça fait nettement moins de dégâts. Néanmoins, je préfère préciser (parce que j’en ai marre de le faire dans les commentaires) que je m’attaquerai à cette question à travers le sujet de l’imaginaire érotique que je compte traiter d’ici un mois.
Re-edit : il y a quelques mauvaises langues qui me disent, « eh bien, t’as qu’à le faire, ça ne regarde que toi ». Alors outre qu’entre collègues, on aime partager nos idées, je précise que bien entendu je suis vigilante sur ces questions dans mes propres écrits. D’autre part, je dirige une collection de fantasy, Bad Wolf, dépourvue de sexisme autant que faire se peut. Et c’est après avoir retoqué ou fait corriger plusieurs manuscrits à des auteurs qu’à la demande de ces derniers j’ai écrit ce petit guide.
Enfin, tous ces points sont contournables de diverses façons (et plus encore si vous tournez le sexisme en dérision), mais avant de briser les règles (qui sont faites pour ça), c’est quand même mieux d’y avoir réfléchi.
3 réponses à “Guide à l’usage des auteurs qui écrivent des livres sexistes (mais qui font pas exprès)”
Ce commentaire est en effet d’une grande bêtise… Merci Audrey pour cet article très juste ! 🙂
Je crois qu’il faut vraiment se décomplexer sur la question. De par les schémas sociétaux, on est tous plus ou moins sexistes (et plus ou moins racistes aussi). L’important c’est de réfléchir et de progresser. Après, personne ne peut exiger de nous qu’on soit à la pointe sur tout du jour au lendemain !
Sur la première version des Poisons de Katharz (il y a 5 ou 6 ans), j’ai eu un vrai choc, quand j’ai découvert que j’avais donné tous les rôles de puissants à des hommes et tous les rôles de « petites choses fragiles » à des femmes (même si à la fin c’était une femme qui sauvait le monde, mais c’était presque sans le faire exprès). Résultat : j’ai inversé presque tous les rôles, j’ai musclé la psychologie de mes personnages et le résultat était bien meilleur ! Mais je crois que même moi qui suis très versée sur la question, il m’arrive encore de faire des erreurs…
« Ça donne l’impression qu’une femme est avant tout un corps découpé en tranches et toujours le même, par dessus le marché. On se croirait à la boucherie en train de mâter les différents morceaux de viandes d’une même vache. »
Cela démontre encore le fait que sexisme et spécisme sont largement interconnectés.