On peut mettre le doigt sur n’importe quelle inégalité : la sous-représentation des femmes dans la fiction, des personnes racisées ou handicapées. On s’interroge, et tel un génie sorti de sa lampe, apparaît toujours une personne pour s’exclamer : « On ne va quand même pas faire de la discrimination positive ?! » Et de pousser des cris outragés, tant ce serait injuste. Sauf que…
la discrimination positive, c’est peut-être cette personne qui en a bénéficié toute sa vie.
(à trois minutes, le monsieur trouve ça absurde. Il pense que ça reviendrait à « forcer » les auteurs. Alors que personnellement, en tant qu’autrice, je suis bien contente qu’on m’ait alertée sur la question.)
Toi, la personne valide qui occupe le poste d’un handicapé nettement plus compétent que toi, qu’on vient juste de virer parce qu’avec son pépin cardiaque, il risque peut-être d’être hospitalisé à un moment gênant pour l’entreprise. Tu as bénéficié de discrimination positive.
Toi, le jeune stagiaire qui a moins de diplômes et d’expérience que ta collègue, mais à qui on donnera le CDI tout de même, parce que l’autre peut tomber enceinte, à son âge. Tu as bénéficié de discrimination positive.
Toi, la personne blanche qui vient de décrocher l’appartement de tes rêves, tu étais en compétition avec un Arabe qui avait un meilleur dossier que toi, mais le propriétaire s’est dit qu’avec toi, au moins, il n’y aurait pas d’ennui et puis l’autre a peut-être des cousins terroristes. Tu as bénéficié de discrimination positive.
Toi, l’homme blanc à qui on propose le rôle de Dumas au cinéma, alors qu’il était noir et que ce rôle n’aurait JAMAIS dû t’échoir, peu importe ton désir de le jouer. Tu as bénéficié de discrimination positive. On aura l’indécence d’argumenter qu’en France, on n’aurait pas d’acteur noir qui saurait incarner un rôle de cette envergure et on ne va surtout pas essayer d’en trouver, ça n’y change rien : tu as bénéficié de discrimination positive.
Toi, la danseuse blanche, qui est un poil moins bonne ou peut-être au même niveau que ta copine noire, mais qui va décrocher tous les rôles sous son nez, parce qu’on a expliqué à ta copine qu’elle dépareillerait dans la rangée pour danser Gisèle ou le Lac des Cygnes (argument brandi maintes fois par Garnier, qui pourtant se targue de « dépoussiérer » les ballets du répertoire – parce qu’un blanc peut jouer Othello, mais qu’une noire ne peut pas danser la Sylphide). Tu as bénéficié de discrimination positive.
Toi, le dessinateur de BD qui a vu ta carrière bien aidée par la presse et qui ne t’es jamais offusqué que cette dernière snobe toutes tes copines, toutes ces années. Le jour où tu as vu une de tes collègues ultra-méritante interviewée dans un magazine de déco, tu as bramé : « C’est bien parce que c’est une fille ! Nous, les hommes, on ne risque pas d’y être ! ». Non que le dit magazine t’intéresse, tu aurais honte d’y être, dis-tu, car les raisins sont trop verts. Mais tu protestes, car tu ne supportes pas l’injustice. Peut-être, avant cela, aurais-tu pu appeler le rédacteur en chef du média BD le plus réputé de France et lui demander pourquoi il n’y a que 6,9% d’autrices interviewées dans ses pages contre 93,1% d’hommes ? Mais cette discrimination positive-là est dans l’ordre des choses, après tout. La discrimination positive, c’est mieux quand c’est toi qui en profite.
Évidemment, c’est dur de se rendre compte de tout ça, alors qu’on en a même pas conscience. C’est pourquoi, nous qui râlons, nous qui protestons, nous qui nous exprimons au nom de la justice (du moins celle qui sert nos intérêts) la prochaine fois que nous aurons envie de débiner la « discrimination positive », demandons-nous si par hasard, ce ne serait pas nous qui en serions bénéficiaire depuis tellement longtemps déjà… Et s’il est vraiment nécessaire de s’offusquer que, pour une fois, elle serve un peu quelqu’un d’autre.